“Elle tentait de se voir à travers son corps. […] Ce n’était pas la vanité qui l’attirait vers le miroir, mais l’étonnement d’y découvrir son moi. […] Elle y voyait l’expression fidèle de sa nature. Elle s’y contemplait longuement, et ce qui la contrariait parfois c’était de retrouver sur son visage les traits de maman. Alors, elle n’en mettait que plus d’obstination à se regarder et tendait sa volonté pour s’abstraire de la physionomie maternelle, en faire table rase et ne laisser subsister que ce qui était elle-même. Y parvenait-elle, c’était une minute enivrante : l’âme remontait à la surface du corps, pareille à l’équipage qui s’élance du ventre du navire, envahit le pont, agite les bras vers le ciel et chante. […] Elle s’examinait et se demandait ce qui arriverait si son nez s’allongeait d’un millimètre par jour. Au bout de combien de temps son visage serait-il méconnaissable ? Et si chaque partie de son corps se mettait à grandir et à rapetisser au point de lui faire perdre toute ressemblance avec Tereza, serait-elle encore elle-même, y aurait-il encore une Tereza ? Bien sûr. Même à supposer que Tereza ne ressemble plus du tout à Tereza, au-dedans, son âme serait toujours la même et ne pourrait qu’observer avec effroi ce qui arrivait à son corps. Mais alors, quel rapport y aurait-il entre Tereza et son corps ?”
Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être.