danse

When Birds Refused to Fly

Jeudi 24.10. Aujourd’hui je vais à Charleroi pour travailler avec la compagnie Baker & Tarpaga et ses danseurs/euse de Ouagadougou. J’arrive à 11h30. Je n’ai pas réussi à me lever tôt ce matin. Et puis je n’avais pas envie de me presser. Je n’avais pas le planning des répétitions non plus, donc pas d’horaires.
J’arrive à Charleroi Danses. Je me présente à l’accueil, je dis que je suis photographe, que je viens travailler avec Olivier Tarpaga. La dame m’explique qu’ils sont dans la grande salle, elle me la montre du doigt, en haut à droite. J’y vais. Je vois deux gars qui bossent sur les câblages. Ils me serrent la main, me disent leur prénom, puis leur métier. Fred, le régisseur général, m’emmène vers les studios où il pense que la troupe est en train de travailler. Ils ne sont pas là. Nous sommes dans la cour arrière de Charleroi Danses. À côté se trouvent les chambres des artistes. Elles donnent chacune directement sur la cour. Il me montre la cafétéria. Il n’y a personne. Je lui dis que je vais attendre ici. Je sors dans la cour. Je regarde mon téléphone. Midi moins le quart. Je me dis qu’ils sont sans doute parti faire un tour, peut-être même à Bruxelles. Ce n’est pas grave. Je ne suis pas pressé. Après quelques minutes j’entends une porte qui s’ouvre derrière moi. Olivier Tarpaga sort de sa chambre, un peu embrouillé encore, il vient de se réveiller. Il me dit bonjour sans me reconnaître. Et puis il sourie, “ah, oui, c’est toi le photographe !”. Nous rentrons dans la cafétéria. Il m’offre un thé. Il m'explique qu'ils sont encore avec le décalage horaire ; qu'il a travaillé jusque trois heures du matin. Ça fait plus d'un mois qu'ils sont en tournée aux États-Unis. Il est habillé avec un pantalon noir, et avec un long gilet gris qui descend jusque mi-cuisse. Il porte son chapeau noir. Toujours.
Nous sommes encore debout. Il me pose quelques questions sur le flou. Pourquoi le flou, comment c’est ? Il dit qu’il aimerait bien voir ce que je fais. Je lui montre quelques photos sur mon téléphone. Je suis un peu mal à l’aise, je me sens questionné, sondé. Je sens que je dois expliquer ma démarche et “faire mes preuves”. Je n’aime pas parler. En même temps je me dis qu’il est sans doute curieux de savoir avec qui il va travailler. On ne se connaît pas du tout, je l’ai croisé brièvement à Ouagadougou cet été après la restitution de sa résidence avec les danseurs/euse de la pièce au CDC. J’avais été lui dire que je travaillais le flou et que j’aimerais faire des photos de sa pièce.
Je tente du mieux que je peux de lui expliquer mes flous, ce que j’y vois, que je travaille avec le mouvement. C’est difficile d’expliquer ce que je ne comprends pas, ma fascination pour ce lacher prise. Je n’arrive pas à le nommer. Il me dit que parfois il travaille avec des photographes qui font vingt pour-cent de flous, mais jamais du quatre-vingt pour-cent. Je lui dis que je fais les deux, pas vraiment quatre-vingt pour-cent, que je travaille un temps au “net”, et puis que je passe en mode “flou”. Il a l’air de comprendre, je pense qu’il me donne sa confiance. Nous nous asseyons. Il parle un peu de musique, des musiciens qu’il fait venir à ses cours à Princeton, mais il voit bien que je ne suis pas du milieu. Ça n’a pas l’air de le déranger. Ça ne me dérange pas non plus. François arrive, le directeur de tournée. Nous parlons de choses plus familiales. Olivier m’a l’air plus détendu, nos regards se croisent plus facilement. Cyril, le directeur artistique, arrive à la cafétéria. Jovial, malgré la fatigue. Il nous préviens que le marquage commencera dans un quart d'heure.
Quelques minutes plus tard nous allons dans la salle. Ils préparent les marques au sol. Je prends mes premiers clichés.
J’aime être ici. J’observe. je prends mes photos. Personne ne me demande rien. J’évolue calmement. En retrait.
Je suis avec le 50mm. Ça me permet de prendre une certaine distance.
Vendredi 25.10. Je lis un texte sur Henry Bauchau. Je vois qu’il a fondé le Service des volontaires du travail pour la Wallonie pendant la guerre, en 40. Il a été soupçonné de traître à la patrie, puis acquitté. Je ressens d'un coup beaucoup d'empathie pour cet homme incompris. Il a fortement été blessé par ces accusations, alors qu'apparemment son intention était assez noble, même lorsque le service fut "annexé" symboliquement aux initiatives allemandes, il y est resté afin d'éviter aux volontaires belges d'être déportés vers l'Allemagne pour le Service du travail obligatoire. En juin 43 il est démis de ses fonctions par la force par les Allemands; il passe à la résistance. C'est un homme que je connais peu mais que j'apprécie énormément lire. Oeudipe sur la route, Antigone, Déluge, et, surtout, L'enfant bleu. Après la guerre il s'exila en France et en Suisse.
Sans doute suis-je un peu plus sensible à son sort ce soir. La pièce était magnifique, très touchante. Je reviens aussi avec une sensation de n'avoir pas su complètement aller au bout de ce que je cherchais. La résidence était assez courte. Deux jours c'est peu pour explorer. Les photos sont tout de même très belles. Je suis content de l'expérience et d'avoir pu rencontrer la compagnie. Et j'ai pu danser avec les danseurs pendant l'échauffement. Je me suis senti très chanceux. Merci aux danseurs, danseuse, à toute l'équipe et à Olivier Tarpaga pour m'avoir fait confiance et m'avoir laissé entrer un peu dans leur pièce.
J'ai de la matière pour travailler les prochaines semaines. Je me permet un peu de noir et blanc. C'est plus mon univers.